Ecrans et parentalité
Les écrans sont aujourd’hui présents partout dans nos vies, dans celles de nos enfants et de nos élèves. Dans la rue, écrans publicitaires, écrans d’annonces municipales ou ferroviaires. Mais aussi sur nous et chez nous : smartphones, montres connectées, télévision, ordinateurs, tablettes, ainsi qu’au travail et à l’école.
Cette prolifération inédite nous met face à de nouvelles problématiques et de nouveaux défis en particulier en ce qui concerne l‘exposition des enfants et adolescents et les conséquences qui en découlent sur leur développement et leur bien-être, mais aussi sur la socialisation au sein de la famille et du cadre amical.
Le numérique et les écrans ont des conséquences bien identifiées sur la parentalité. Les parents doivent gérer de nouveaux problèmes pour lesquels ils ne sont pas armés car ils n’ont pas de comparaison possible avec des repères passés, puisqu’ils n’ont pas été confrontés à ce phénomène étant enfants.
Par ailleurs, ils sont souvent pris entre deux tendances. Ils s’inquiètent du temps passé par leurs enfants devant les écrans mais dans le même temps force est de reconnaître que ces derniers sont bien pratiques pour aider à fixer les enfants au foyer. Cette situation lance de nouveaux défis notamment au niveau de la vie collective en famille.
Il est à noter cependant que les pratiques des écrans des parents prédisent celles des enfants : c’est le modèle de pratique des parents qui induit la façon dont les enfants utilisent le numérique. Cela change la nature des liens familiaux dans le partage de pratiques, jeux, musique.
Ecrans : entre mythes et réalité
De nombreux commentateurs se sont emparés du sujet et on peut lire ici ou là toutes sortes d’affirmations sur les effets délétères ou au contraire enjolivés de l’utilisation des écrans par les enfants. Tous servent plus ou moins volontairement un agenda politique. Ce qui est sûr c’est que les débats sont extrêmement polarisés. Cela créé une forme de panique morale qui empêche de prendre sereinement en compte les études scientifiques qui montrent qu’il n’y a pas de causalité entre les écrans et l’altération du développement des enfants et adolescents. Le temps d’écran n’est ni bon ni mauvais pour le cerveau en soi. Cela dépend des compétences considérées et du type de contenu vu via les écrans.
Par ailleurs l’addiction au jeu reste un phénomène extrêmement marginal (2% des enfants) et souvent on confond corrélation et causalité. La question étant de savoir si sans le numérique l’addiction aurait pris d’autres formes avec d’autres objets.
D’autres question se posent :
- Comment définir le temps d’écran ? En effet il est quasiment impossible de dissocier le temps d’écran et le temps passé avec d’autres personnes à échanger sur ce qu’on a lu ou vu sur un écran.
- Comment mesurer avec précision le temps d’écran ? Les études ont recours à des questionnaires très subjectifs.
- Est-ce que le temps passé conduit à des problèmes chez les individus ? Les commentateurs prennent souvent des raccourcis et parlent de causalité alors qu’il s’agit de corrélation. Par exemple, les enfants atteints de TDAH jouent souvent aux jeux vidéos. Mais est-ce c’est le fait qu’ils sont atteints de TDAH qui les poussent à jouer en ligne ou bien sont-ce les jeux en ligne qui provoquent des troubles TDAH ?
Afin de répondre aux problématiques induites par l’apparition des ces nouvelles interfaces, il est nécessaire de bien étudier chaque activité développée avec le numérique.
Par exemple, les enfants qui s’entraînent à la graphie sur tablette avant le papier réussissent beaucoup mieux que ceux qui s’entrainent uniquement sur papier car le feed-back immédiat de la tablette leur permet de progresser plus vite. Mais des effets néfastes à ce type de support sont aussi relevés. Il faut garder le papier comme support privilégié de compréhension des textes pour les enfants comme pour les adultes, car le rapport kinesthésique à l’objet renforce sans doute la mémorisation. Chaque activité est donc à observer précisément tant dans son contexte , que par rapport au support et à la durée.
De même les réseaux sociaux sont souvent critiqués. En réalité les relations sociales virtuelles ne se substituent pas aux relations sociales réelles mais s’y ajoutent. Il s’agit donc d’un
gain de relation sociale. Les réseaux sociaux adolescents proposent beaucoup plus de soutien et d’entraide quand on va mal par exemple, mais il faut garder à l’esprit et surveiller les dérives de harcèlement possibles qui sont bien réelles dans une minorité des cas. Il s’agit donc d’accompagner et d’éduquer les enfants et adolescents.
Concernant les jeux vidéo, une conclusion intermédiaire indique qu’il faut bien cibler les jeux pour chacun des enfants. Un jeu compétitif ne génère pas les mêmes comportements qu’un jeu collaboratif. La console de jeu doit être plutôt placée dans le salon que dans la chambre de l’enfant afin d’éviter notamment les problèmes de sommeil. Le contenu des jeux est primordial sur la santé psychique : les jeux compétitifs ou frustrants à haute dose peuvent générer des attitudes violentes, ce qui n’est pas le cas pour des jeux collaboratifs. Mais on retrouve le même type de comportement lorsque les jeunes pratiquent des jeux ou sports compétitifs sans écran. Il est bon de regarder jouer les enfants au jeux vidéos et de leur poser des questions sur le jeu ou bien de jouer avec eux.
Certains reprochent aux écrans d’empêcher le développement de l’intelligence de l’enfant à son plein potentiel. Une méga analyse faite sur 4 millions de personnes conclut que le QI moyen des habitants des pays développés n’augmente que très lentement contrairement à celui des personnes des pays en voie de développement qui connaît une augmentation rapide et rattrape le niveau des pays développés. Il est possible que nous ayons atteint un seuil au niveau du QI. Mais les écrans en sont-ils responsables ? Rien n’est moins sûr. Quoi qu’il en soit, le QI ne baisse absolument pas dans la société française.
Les activités devant écran ont tendance à remplacer les temps des activités similaires : détente, ennui, culture. Ils sont largement similaires à ces temps qu’on avait sans le numérique. Si le numérique dans certaines familles remplace les devoirs, il y a fort à parier que sans le numérique d’autres activités non scolaires les auraient remplacées et permis à l’enfant de se détourner des devoirs.
L’effet sur l’attention est négligeable pour les enfants qui passent quelques heures par semaine sur les écrans. Quand on utilise du numérique, internet, des applications, il y aurait plutôt un effet bénéfique car on habitue l’enfant à utiliser un grand nombre de symboles. Une éventuelle baisse de l’attention est davantage liée à la qualité et à la quantité de sommeil. Jouer à des jeux compétitifs avant de s’endormir ou scroller sans fin sur des applications qui utilisent des stratégies de captation de l’attention empiète parfois grandement sur la qualité et le temps de sommeil des jeunes. Là encore l’éducation et l’accompagnement sont nécessaires.
Concernant le surpoids et l’affirmation selon laquelle les écrans génèreraient de l’obésité, aucune étude ne montre de causalité. En effet, beaucoup de facteurs entrent en jeu car l’utilisation des écrans est un élément parmi beaucoup d’autres. Cependant un lien a été mis en évidence entre le temps passé devant la télévision et l’augmentation de l’IMC. C’est le seul écran avec lequel on a pu identifier une relation claire. Ce qui reste certain c’est qu’Il faut éviter l’utilisation des écrans pendant les repas. Il y a des effets directs sur le développement du langage.
Pour toutes les activités liées aux écrans, il semble que les bénéfices ou les effets délétères sont en réalité fortement liés au contexte et au type d’usage. Dans la sphère familiale les activités sur un temps raisonnable, avec des contenus à valeur ajoutée éducative et lors desquelles il y a présence et interaction langagière avec un adulte sont bénéfiques à l’enfant. Par ailleurs le milieu social semble avoir une influence très importante : Les enfants de milieu défavorisé passent beaucoup plus de temps sur les écrans et beaucoup sur des réseaux sociaux (https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/etre-et-savoir/education-comment-re-prendre-le-pouvoir-sur-le-numerique-3610748)
Il y a donc un nouvel équilibre à trouver et à proposer aux jeunes dans le cadre familial avec à la fois des activités sportives, du travail scolaire et du temps d’écran, comprenant des échanges et des interactions avec les pairs et les adultes. Ce n’est pas chose facile, les parents n’étant pas toujours informés ni éclairés pour faire face à ces nouvelles problématiques et laissés pratiquement seuls face aux pratiques de captation de l’attention des plateformes du net notamment.
À l’école
L’introduction de nouveaux outils ont toujours suscité des peurs, la calculatrice et l’écran de télévision en sont des exemples.
Les écrans semblent développer l’intérêt, la motivation et les compétences, mais tout dépend du contexte d’enseignement. Un contexte constructiviste est favorable. Les enfants agissent, recherchent de l’information, sont amenés à créer, et à réaliser des productions variées avec utilisation de logiciels pertinents. Par contre dans un contexte traditionnel descendant dans lequel l’enseignant est détenteur du savoir et le délivre aux élèves, l’utilisation d’outils numériques ne semble pas présenter de plus-value pour les apprentissages.
Pa ailleurs le papier est encore dans certains domaines supérieur à l’utilisation de l’écran : notamment lors de la lecture de textes explicatifs. En effet, la lecture écran est plus de l’ordre du survol et ne favorise pas une compréhension détaillée du texte, en particulier chez les enfants en difficulté de lecture ou lorsqu’on impose des contraintes temporelles. A contrario pour les textes narratifs, on ne note pas de différence entre la lecture sur liseuse et le texte papier.
En ce qui concerne la lecture accompagnée d’un adulte, la lecture sur écran est plus efficace quel que soit le type de texte.
De plus, les “écrans” lorsqu’ils sont utilisés dans un contexte favorable et choisi ont des effets bénéfiques sur les apprentissages en mathématiques, sciences, en lecture et sur l’augmentation du vocabulaire. Mais là encore toutes les applications ne sont pas efficaces. Il faut les choisir selon le contexte pédagogique et l’accompagnement par un adulte, un pair ou expert. Les tablettes présentent par exemple une facilité d’usage dans tous les domaines sauf l’écriture sur clavier.
Leur utilisation est corrélée à une baisse de l’anxiété en particulier chez les enfants porteurs de troubles des apprentissages. Elles favorisent un développement moteur surtout pour les dyspraxiques, un travail collaboratif, la création et l’invention.
Et l’action publique ?
La question de la parentalité numérique est prise en compte de façon de plus en plus forte par les pouvoirs publics. L’Etat avec TNE et notamment en académie TNE34 a missionné la Trousse à Projets pour travailler auprès des parents, des associations de parents, des instances éducatives et associatives afin de développer des outils et des actions afin de sensibiliser et aider les parents face aux enjeux de la parentalité numérique. De même, la plateforme Pix développe des outils pour aider les parents à monter en compétence dans le domaine du numérique afin d’être en capacité d’avoir les informations nécessaire à un dialogue avec leurs enfants.
Par ailleurs , une commission d’experts “enfants et écrans” a été mandatée par le Président de la République et elle a rendu son rapport en avril dernier. Les constats et les axes d’actions sont intéressants.
A ce sujet, voir l’article À la recherche du temps perdu dans le blog.
Sources :
Synthèse réalisée par l’ISFEC Normandie de l’ouvrage Les enfants et les écrans, coordonné par Anne Cordier et Séverine Erhel, collection : Mythes et réalités chez Retz.
Guide parent Santé publique France dossier ANSES à télécharger sur le site Santé publique France ou ici.
e-enfance Surexposition aux écrans
Crédits photographiques : https://www.wepsee.com/fr/wikipsee/l-ecran-est-il-un-danger-pour-la-famille/ et https://pix.fr/parentalite-numerique